2 | Jean-François Chaumeil
février 14th, 2010 by xavierPour partir à Séville, il fallait un passeport. La féodalité avait volé en éclats la nuit du 4 août 1789, l’assemblée s’était proclamée « constituante », le roi avait été ramené à Paris par le peuple et n’avait plus beaucoup de pouvoir, bref, c’était la Révolution, et on avait du mal à savoir où mettre les pieds… #
A Bretenoux, pour établir ce passeport, on n’avait pas les nouveaux papiers timbrés et tampons officiels et n’osait plus se servir des anciens. #
Alors, le conseil municipal fit faire un extrait de naissance de Jean-François par le curé Lafon, curé de Félines et Bretenoux, et le fit certifier par le maire, le 1er officier municipal, le prévôt de la commune, un officier municipal et le secrétaire greffier. Ensuite, le conseil municipal rédigea ainsi le passeport : #
Nous maire et officiers municipaux de la ville de Bretenoux au département du Lot, certifions à tous ceux qu’il appartiendra que le sieur Jean François Chaumeil fils à sieur François Chaumeil avocat et juge de plusieurs juridictions est de bonne vie et mœurs, qu’il professe la religion catholique apostolique et romaine ainsi que ses père et mère, lequel nous a exposé avoir conçu le dessein de passer en Espagne du gré et consentement de ses parents pour se rendre à Séville auprès de son oncle paternel habitant dans cette dernière ville depuis environs vingt cinq ans où il est marié, auprès duquel il a été appelé pour des affaires de famille, priant à ces fins tous ceux qui sont à prier de vouloir fournir tout secours et assistance audit Jean François Chaumeil âgé de seize ans, de la taille de quatre pieds huit pouces (soit 1m 51cm) environs, a le visage ovale, un peu marqué de la petite vérole, le nez gros, la bouche moyenne, les yeux gris, les cheveux blonds, l’épaule et la jambe ronde.
En foi de ce, lui avons délivré le présent certificat signé de notre main, n’ayant pas de cachet pour pouvoir apposer au présent pour une plus grande autorité.
Fait à Bretenoux le premier octobre mil sept cent quatre vingt dix. #
Puis ce document fut signé par les mêmes membres du conseil municipal.
Ce passeport fut visé à Cahors, Montauban, Mauvezin et Bayonne où Jean-François arriva le 15 octobre 1790, ce qui nous permet de calculer qu’une diligence, le TGV de l’époque, parcourrait environ 50 Km par jour, selon l’état des routes… #
Arrivé à Séville, Jean-François dut signer une déclaration officielle en espagnol, le permis de séjour de l’époque, dans laquelle il s’engagea sur l’honneur à offrir sa soumission et son obéissance à Sa Majesté et aux lois de ce royaume pendant qu’il y résidera, sans faire, dire ni entretenir de correspondance contraire à cette promesse. #
Chez son oncle, il eut quelques difficultés avec sa tante, qui avait le même pouvoir sur (son) oncle qu’une mère sur son fils, autrement dit, c’est elle qui portait la culotte !… Mais il finit par trouver le moyen de rentrer dans les bonnes grâces de celle-ci, et je le laisse vous le raconter : #
Mais vous saurez que ma tante aime assez bien le vin, et comme je n’en buvais pas, je ne pouvais l’inviter, (ce) qui est ici coutume. Cependant, voyant que tous les autres neveux se convenaient avec elle fort bien à cause de cela, j’ai imaginé de faire de même, et j’ai réussi fort bien. L’autre jour, étant dans une foire à peu près comme la « Bote » de Félines (fête votive locale), Mr Romero me donna 100 Frs à compte de mon salaire. J’invitai ma tante à toutes sortes de liqueurs et vins étrangers. Depuis, nous sommes si bons amis qu’à peine veut-elle que je me dépare d’elle, ce dont je suis bien aise. (Lettre à son père 1791) #
Il travailla chez un commerçant, Mr Romero, puis chez Mr Boutot, un français d’origine installé à Séville comme son oncle, puis il s’installa à son compte, vraisemblablement à la mort de son oncle en 1799. Il se maria avec une sévillane, A.S. Martinez. #
Il aimait bien son confort, et c’est ainsi qu’il acheta à la Sainte Croisade pour deux réaux, monnaie de Vellon (monnaie de cuivre qui avait remplacé la monnaie d’argent) une dispense qui lui permettait de manger de la viande pendant le carême de 1792 en gardant l’esprit de jeûne… les dimanche, lundi, mardi et jeudi de carême, excepté la Semaine sainte… #
A l’origine, étaient dispensés du jeûne de carême les malades, les femmes enceintes, les petits enfants, les croisés au combat, et, par extension… ceux qui les soutenaient financièrement. Mais il ne faut pas oublier qu’en 1792, cela faisait plus de 500 ans qu’il n’y avait pas eu de croisade ! Il n’y avait pas de petits profits pour les ecclésiastiques… #
Durant sa vie à Séville, Jean-François, qui, comme son oncle, n’eut pas d’enfants, prospéra, puis connut des difficultés dues à la guerre : #
Mes affaires, dans mon voyage en Espagne, n’ont pas été aussi belles que j’avais tout lieu de m’attendre, parce que la peste, la guerre et la famine sont arrivées dans ce pays en même temps que moi. Cependant, vu les circonstances, je ne puis pas me plaindre, et, dans mon malheur, j’ai été très heureux, puisqu’il ne m’est survenu aucun accident fâcheux, et que, malgré tout, j’ai fait quelques bonnes affaires. #
Cela ne l’empêcha pas de financer sa mère, de payer les frasques de Léon et même de lui payer une pension : #
Il y a quelques temps que Léon ne m’a écrit, mais je sais qu’il se porte bien par les billets qui me sont présentés. Jusqu’à présent je n’en avais refusé aucun, je les avais tous payés exactement, mais, ma foi, voyant le train dont il va, je me suis vu forcé, l’autre jour, de refuser le payement d’un (billet) de 250 livres, et de lui écrire que dorénavant, je ne payerai que les 45 livres que Baptiste et moi nous lui faisons tous les mois. Il me semble que c’est assez. Ni Baptiste, ni moi, n’en avons pas toujours eu autant. Ce n’est pas là l’embarras : s’il était raisonnable, je ne regarderais pas à 100 ni à 200 francs de plus ou de moins, mais il ne finit jamais, il lui en faut toujours plus. Il devrait pourtant savoir que je n’en ai pas plus qu’il n’en faut, et que je suis souvent aussi gêné que lui en travaillant davantage. #
Jean-François a-t-il dû quitter l’Espagne à la chute de Napoléon comme beaucoup de français à l’époque ? Qu’est-il devenu et où a-t-il fini sa vie ?
L’enquête continue… #
juin 14th, 2010 at 18:24
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