4 | Léon Chaumeil
février 14th, 2010 by xavierC’est le mouton noir de la famille. Beau gosse, joueur invétéré, coureur de jupons, en un mot, un mauvais garçon. Mais il a toujours gardé une profonde affection pour sa mère et sa petite sœur Gabrielle, ainsi que ses 2 frères, comme en témoigne leurs lettres : #
La maladie de ma chère Gabrielle m’inquiète bien plus que je ne pourrais vous le rendre, je vous prie de ne rien économiser pour la bien soigner. Ne vous bornez pas à la petite somme que je vous avais prié de prendre pour mon compte chez Mr Bouygues, ne vous gênez pas. Daignez recevoir l’argent qui pourra vous être nécessaire, c’est la plus grande jouissance que vous puissiez me procurer. (Jean Baptiste 1803) #
Enfin, ma bonne maman, j’espère que la paix viendra et que les affaires reprendront un peu. En attendant vous savez que je désire que vous ne manquiez de rien tant que j’en aurai. Ainsi, chaque fois que vous en aurez besoin, faites-le moi savoir, et vous l’aurez de suite. #
Je voudrais que vous m’écriviez plus souvent, au moins deux fois par mois, pour me donner de vos nouvelles. Si mon beau-frère est occupé, vous ne manquerez pas de quelqu’un qui vous fera le plaisir de vous écrire la lettre. (Jean-François 1805) #
Adieu, ma très chère et respectée mère. Conservez autant qu’il dépendra de vous une santé qui, vous n’en doutez pas, est bien chère à vos enfants. Je suis le plus à plaindre, et j’espère que je parviendrai à quelque chose avec de la chance et de la conduite. Cela ne semble pouvoir pas (être difficile). Encore 2 campagnes et j’espère que je sortirai de la fange. En attendant, tranquillisez-vous, l’amitié de mes chefs rend mon sort moins à plaindre. Je suis toujours le plus soumis de vos enfants. (Léon 1805) #
Né le 2 septembre 1779, Léon est le dernier garçon de la fratrie. Après la mort de son père, encouragé par la réussite de ses frères en Espagne, il décide de les rejoindre. #
Grâce à son passeport, délivré le 12 floréal an 7, soit le 2 Juin 1799, nous savons qu’à presque 20 ans il mesure 1,70m, est châtain, a le visage ovale, les yeux gris-bleus, le nez bien fait et un menton pointu à fossette… #
Tout d’abord, il va à Séville, chez Jean François, à l’occasion du décès de leur oncle, rentre en France, puis en 1801, il repart à Cadix chez Jean Baptiste. #
En passant par Toulouse, il récupère une dette de jeu que lui devait un de ses compagnons de débauche, puis il arrive à Barcelone. Les voyages, à cette époque sont longs et incertains, comme il le raconte à sa mère dans cette lettre du 13 novembre 1801 : #
Nous sommes arrivés hier au soir, après avoir essuyé bien du mauvais temps. Dans presque tout le chemin, nous n’avons cessé d’avoir la pluie sur le corps, et pour me soulager des fatigues du voyage, l’on s’empresse de m’annoncer ici que la maladie pestilentielle de Cadix a recommencé. #
Le secrétaire du consul français m’a pourtant dit qu’il ne croyait pas que Cadix fut encore infectée, mais qu’il était certain que Medina Sidonia, qui est voisine, en éprouvait toutes les horreurs. #
En outre, je n’ai encore pu découvrir aucun bâtiment qui fit voile pour ce pays-là. Il est inconcevable combien les vivres sont chers en Espagne ! Ils le sont beaucoup en France, mais ce n’est à peu près que le tiers. #
Je passai à Toulouse chez Madame Félix qui me fit d’abord l’objection que son fils n’était point encore arrivé, qu’elle avait payé tant de dettes, qu’elle lui avait envoyé tant d’argent, enfin, elle semblait vouloir douter de la sincérité de la dette, mais pourtant, je piquai si sensiblement son amour propre qu’elle m’acquitta le billet, et j’en avais le plus grand besoin. Mais au moyen de ça, pourvu que je ne sois pas retenu trop longtemps en cette ville, où tout est d’une cherté inconcevable, j’espère avoir de quoi arriver à Cadix, il le faut bien. #
Adieu, ma chère Maman, consolez-vous, j’ose attendre que nous serons bientôt en état de vous procurer une existence moins pénible. #
Pourvu que je trouve bientôt à m’embarquer, je compte arriver à ma destination à la conclusion de la paix entre l’Espagne et l’Angleterre : on l’attend de jour en jour. #
A Cadix, il continue à jouer et à courir les filles, au point d’user la patience de son frère. Quand Léon, en mars 1803, perd au jeu 1 100 livres en 15 jours, soit l’équivalent de 2 ans de salaire d’un bon ouvrier, Jean Baptiste le renvoie en France, à Marseille, avec une lettre de recommandation. #
C’est en vain, ma très chère mère, que je m’étais flatté que Léon tiendrait la parole qu’il m’avait donné de se mieux conduire. Il n’en a rien fait, et quoiqu’avec bien du regret, je me suis vu forcé de le renvoyer. #
Lorsque je lui pardonnai toutes les folies qu’il avait faites pendant mon absence, nos conditions furent claires : je lui promis de couvrir d’un voile sa conduite passée, et de ne jamais lui en parler. Je lui demandai s’il avait des dettes, il m’assura que non. Mon intention était de les payer à condition que ce seraient les dernières. Je l’assurai en même temps que je n’avais pas l’humeur moraliste, et qu’à la première faute grave qu’il commettrait, il prendrait sur le champ le chemin de France. Le jeu, surtout, lui fut prohibé. #
Il promit tout, et n’a rien tenu. Au bout de 8 jours de notre accord, la maison lui facilita les moyens de gagner environ 700 livres, qu’elle lui donna. Hé bien, il ne s’était pas encore écoulé 15 jours qu’il avait dévoré cette somme et demandait 400 livres pour faire honneur à une dette pour laquelle il était, dit-il, fort pressé. #
Etonné avec trop juste raison de cette inconduite, j’ai découvert que sa passion dominante était le jeu. C’était précisément, peut-être, l’unique qu’il n’était pas en mon pouvoir de lui pardonner. Nous avons de si grands intérêts dans nos mains qu’il est de toute impossibilité que nous souffrions chez nous une personne quelconque qui se trouverait dominée de cette trop fatale passion. Quoi que j’eusse à me plaindre de ce jeune étourdi pour des raisons bien graves dont j’omettrai le détail, elles intéressent les qualités du cœur, et je déchirerais le votre en vous les référant, je n’ai pourtant pas oublié qu’il était né mon frère : il est parti pour Marseille parfaitement équipé, recommandé à mes bons amis Mrs Mourche et Viau, avec un crédit limité de 300 frs. Son intention est de se fixer dans cette ville. #
Dieu veuille qu’il y réussisse, et qu’il ne revienne pas à Bretenoux où il ne peut que vous être extrêmement à charge. Si ce cas arrive, vous pourrez, pourvu toutefois qu’il l’ignore, prendre chez Mr Bouygues les sommes dont vous aurez besoin en sus des 600 livres. Je puis vous assurer que j’ai versé des larmes de sang d’être forcé de le renvoyer, il m’y a obligé et il en a toute la faute.
Jean Baptiste confirme sa décision une semaine plus tard : #
Je suis désespéré qu’il n’ait pas été en mon pouvoir de ramener Léon dans le sentier du devoir. Croyez qu’il m’en a coûté bien cher à mon cœur d’être forcé de le renvoyer, mais sa conduite était vicieuse au point qu’il n’y a pas eu moyen de prendre d’autre parti. Je suis toujours son frère. Malgré tous ses écarts je ne l’abandonnerai pas, mais je crois même pour son bien qu’il n’ait pas tous ses aises et qu’il apprenne un peu à vivre. Il en sera plus sage à l’avenir. #
Que s’est-il passé à Marseille ? En tout cas, plutôt que de continuer dans le commerce comme ses frères, ce qui ne l’intéresse visiblement pas, il s’engage dans l’armée, au régiment de Hanovre, où il obtient le grade de fourrier (sous officier chargé des vivres et du logement des soldats), ce qui prouve ses capacités, en dehors de ses mauvais penchants. #
Il est si bien vu de son colonel que celui-ci le fait désigner pour représenter son régiment au sacre de Napoléon en 1804 : #
D’après un décret impérial, il doit être envoyé par chaque régiment une petite députation à Paris pour assister au couronnement de S.M. l’empereur Napoléon et recevoir de lui de nouveaux drapeaux. Cette députation doit être prise parmi les membres de la Légion d’Honneur ou parmi les militaires les plus dignes d’y être admis. Il est dans notre régiment une quantité bien plus que suffisante de légionnaires. Je ne devais donc pas attendre… (*base de lettre déchirée. Manquent 1 mot ou 2)… à leur préjudice un jeune militaire… (*idem 1 mot ou 2) d’autres droits à un honneur semblable que la bonne intention. Néanmoins, le colonel m’a annoncé hier par l’ordre du Conseil que je devais l’accompagner à cette auguste cérémonie. En conséquence, nous partirons pour la capitale le 9 ou le 10 de vendémiaire. #
Il m’est bien douloureux que l’importance de ma commission ne me permette pas de solliciter la permission d’aller embrasser ma chère mère et tous mes amis. Mais je vois avec regrets que je ne le pourrai pas. #
Mais il continue à accumuler les dettes de jeu, et il les fait payer par ses frères, mais ceux-ci renâclent de plus en plus et finissent par refuser de payer autre chose que sa pension mensuelle: #
Il y a quelques temps que Léon ne m’a écrit, mais je sais qu’il se porte bien par les billets qui me sont présentés. Jusqu’à présent je n’en avais refusé aucun, je les avais tous payés exactement, mais, ma foi, voyant le train dont il va, je me suis vu forcé, l’autre jour, de refuser le payement d’un (billet) de 250 livres, et de lui écrire que dorénavant, je ne payerai que les 45 livres que Baptiste et moi nous lui faisons tous les mois. Il me semble que c’est assez. Ni Baptiste, ni moi, n’en avons pas toujours eu autant. Ce n’est pas là l’embarras : s’il était raisonnable, je ne regarderais pas à 100 ni à 200 francs de plus ou de moins, mais il ne finit jamais, il lui en faut toujours plus. Il devrait pourtant savoir que je n’en ai pas plus qu’il n’en faut, et que je suis souvent aussi gêné que lui en travaillant davantage. #
Alors Léon se tourne vers son beau-frère, Bruno Rougié, notaire à Reingues de Prudhomat, et lui fait parvenir un bon à payer, à prendre sur la part d’héritage qui lui venait de son père : #
J’ai délivré à Mr notre quartier-maître un bon à 45 jours de date de 250 frs 60 acquittable chez L. Martinez. Mais comme j’ignorais son adresse actuelle, j’ai prié Mr le quartier-maître de vous faire donner avis de son arrivée par la personne à qui il la fait passer, ce qu’il m’a promis, et même qu’il le ferait tenir chez vous s’il lui était possible. Dans tous les cas, je vous prie de ne pas laisser déshonorer ma signature. #
Cette lettre vous servira d’assurance pour la dite somme dont je vous tiendrai compte sur le principal de mon bien. #
Mais Bruno Rougié se fait tirer l’oreille et ne paie que la moitié de la somme. Léon le relance et demande, en plus, une rallonge !
Mr Bidron-Grangé, notre quartier maître, m’a donné avis que vous m’aviez fait l’envoi de 120frs pour commencer l’acquittement de mon billet de 260frs60 d’après l’avis qu’il a reçu lui-même de la personne à qui il l’avait envoyé. Il est malheureux que cette erreur me mette dans l’obligation de lui délivrer un nouvel effet en remplacement du premier qu’il avait lui-même donné en solde. Néanmoins, il a bien voulu le diviser afin de ne pas nous grever par un double remboursement trop pressé, et qui devient, d’ailleurs, trop considérable. En conséquence, je lui ai délivré deux effets, dont le 1er de 130frs60 acquittable 20 jours après sa présentation, et le 2e de 120frs, acquittable 60 jours après sa présentation, qui vous en sera également faite, ou l’avis qui vous en sera donné. #
Je n’ai pas besoin de vous dire combien il est désagréable pour moi d’être forcé de tirer sur vous encore 250frs60, tandis que vous m’avez fait un envoi de 120frs, ce qui fait, au lieu de 250frs60, 370frs60. Aussitôt que j’aurai reçu votre envoi, j’attendrai votre réponse pour en disposer, malgré que je puisse l’employer utilement à mon habilleur. Néanmoins, je n’en disposerai que selon votre avis, parce que si vous ne pouviez pas acquitter le 2e bon, je vous le ferai repasser, afin que ma signature ne puisse pas (avoir) une seconde fois le désagrément d’être refusé. #
J’ai l’avantage d’avoir obtenu la protection de Mr le Général Berthier dans la revue que nous venons de passer de son Excellence le Maréchal Bernadotte. Il m’a fait beaucoup de civilités et a dit ensuite à mon colonel, qui m’honore toujours de son estime, qu’il ne tarderait pas à me procurer de l’avancement. En attendant, je reste attaché à ce dernier comme secrétaire de confiance. #
Mais l’armée se met en marche. L’une des forces de Napoléon, c’était la vitesse de déplacement de son armée qui déroutait complètement l’ennemi. En voici l’exemple que nous décrit Léon, depuis Munich, le 19 vendémiaire an 14, soit le 12 octobre 1805, de la bataille d’Ulm : après une marche forcée de près de 700 Km en 25 jours, mangeant peu, dormant mal, ils font 25000 prisonniers, puis 1300 de l’arrière garde ennemie, en n’ayant que 16 blessés de leur côté ! Et l’on sait que cette campagne se finira de manière éclatante par la victoire d’Austerlitz, le 2 décembre 1805. #
J’aurais bien des choses à vous dire, ma chère maman, si je vous rapportais tout ce que nous avons souffert depuis ma dernière lettre datée de Verden (Weetzen) en Hanovre. #
Nous avons depuis traversé tout le pays de Hesse Cassel, Hesse Darmstadt, une grande partie de la Prusse et de la Bavière, et nous voilà arrivés dans la capitale de cette dernière sans presque aucune résistance. Nous n’avons encore presque perdu personne. #
Nous avons fait environs 22 mille prisonniers du côté de Ulm, où nous nous sommes portés sur cette ville avec précipitation. L’ennemi l’avait saignée, leur arrière garde a fait une légère résistance, mais nous les avons facilement percés et avons fait 1300 prisonniers. Nous n’avons eu que 16 hommes de blessés. Les habitants de cette capitale nous traitent comme des libérateurs. Ils attendent avec impatience l’arrivée de leur prince qui avait été obligé de fuir devant les autrichiens, et ceux-ci fuient aujourd’hui avec la même facilité devant (nous). #
Ils évitent toujours de combattre et s’attachent avec soin à n’avoir aucune affaire jusqu’à l’arrivée des russes, mais notre Empereur ne leur donne pas le temps de se reconnaître. Il les a encore attaqués hier avec la droite de son armée, mais nous ne connaissons pas encore le résultat de l’affaire. Si, comme il y a lieu de croire, il les a battus, nous ne tarderons pas à passer l’Inn et entrer sur leur territoire. #
Nous avons, comme vous voyez, beaucoup d’avantages sur nos ennemis, jusqu’ici. Mais quelles fatigues et quelles privations ! Depuis environs 25 jours, nous faisons chaque jour des marches forcées. Continuellement la pluie forte, et toujours couchant au bivouac. Pendant 8 jours consécutifs, nous n’avons eu que 3 ou 4 onces de pain au plus.
Ces fatigues considérables nous ont couté plusieurs hommes qui, par trop de lassitude, n’ont pu suivre l’armée et sont morts d’inanition. J’ai, grâce à Dieu, assez bien résisté jusqu’à ce moment. Je n’ai encore à me plaindre que des fatigues que j’ai partagées avec mas camarades. Mais fort heureusement nous sommes biens à présent. #
En attendant l’ordre d’aller en avant, (nous) recommençons nos travaux que nous avons interrompus hier seulement.
Je n’ai pas eu encore l’occasion de parler à Son Altesse Sérénissime le Prince Murat, mais j’espère que l’occasion ne tardera pas à s’offrir, et je ne veux pas la perdre : il peut me faire beaucoup de bien, d’autant que je suis sur des comptes qui lui rendront des moyens supplémentaires. #
Cinq ans passent, et Léon, devenu adjudant, se retrouve avec son régiment engagé dans la guerre d’Espagne. En février 1810, il arrive devant Cadix et peut rendre visite à sa belle sœur, l’épouse de Jean Baptiste, qui s’était réfugiée, avec ses enfants, chez son père à Puerto Santa Maria, à côté de Cadix. Voici ce que Léon raconte : #
Je suis arrivé ici le 5 du courant avec le général Darivaud (Rivaud) commandant l’avant-garde. J’avais demandé la permission de marcher avec la Cavalerie ce jour, afin d’arriver des premiers dans une ville où je m’attendais de trouver ma chère belle-sœur. Mes souhaits ne furent pas trompés : j’eus le plaisir de rencontrer ma chère Pepita et ses deux jolis enfants. Elle ne se doutait pas même que je faisais partie de l’armée d’Espagne, mais il n’empêcha pas qu’elle me reconnut de suite malgré ma moustache qui était fort grande, Dieu merci. #
Les débris de l’armée Espagnole, qui fuyait devant nous, avaient tellement répandu l’épouvante et la terreur que presque tout ce qui a pu se sauver des villes où nous avons passé s’est éloigné de nous avec la plus grande célérité, et l’on nous annonce partout où nous n’avons pas encore passé comme des anthropophages! #
Un négociant de cette ville, à qui je m’adressais pour connaitre la maison de ma belle-sœur, me surprit certainement beaucoup par une question à laquelle je ne m’attendais pas de la part d’un homme décent : il me demanda si les troupes seraient aussi tranquilles qu’elles l’étaient à leur rentrée, et si elles ne feraient du mal à personne ? Je lui répondis : nous sommes parfaitement bien disciplinés, et nos soldats ne font de tort qu’aux malfaiteurs et à nos ennemis armés. Cet homme, après m’avoir attentivement fixé pendant quelques moments, fit une exclamation terrible, et après un instant de réflexion, il me dit : Ha, mon Dieu, Monsieur, combien nous a-t-on trompés ! On nous avait assuré que vous mangiez les enfants, et qu’un de vos amusements était de les suspendre au bout de vos baïonnettes quand vous étiez rassasiés, que, d’ailleurs, vous ne feriez aucun scrupule de tuer qui que ce fut !
Je fis tout ce qui était en mon pouvoir de faire pour persuader ce brave homme que, loin d’être des barbares incivilisés comme on le lui avait persuadé, l’ordre régnait partout où nous nous trouvions. #
La conduite des troupes a parfaitement prouvé ce que j’avais dit à mon effarouché, et le seul regret qu’aient aujourd’hui les habitants du Port Sainte Marie, c’est d’avoir, quelques uns, abandonné leurs maisons (avec) toute la famille entière, les autres d’avoir fait partir leurs femmes et leurs enfants : tout ce qui est sorti est enfermé dans Cadix ou dans la baie d’où ils ne peuvent plus sortir ; et Dieu merci, ils ont le plaisir d’être souvent divertis par la musique d’une trentaine ou quarantaine de batteries qui font presque continuellement feu. #
Les anglais, qui sont les seuls qui nous défendent l’entrée de Cadix et de la Isla de Léon, ont démoli (Deux mots manquent : touts les ?) ports qui avoisinent ou sont dans la baie. Nous travaillons depuis trois jours à rétablir le fort de Matagorda dans la baie même, mais ces ouvrages sont obligés d’être exécutes sous le feu de plus de 80 chaloupes canonnières qui continuellement tirent dessus. Néanmoins ils sont bien loin, et je crois qu’avant peu l’on pourra y placer des pierrées. #
Heureusement pou moi, un escadron du régiment est tombé à la garnison du Port Sainte Marie et l’autre à Sanlúcar. Ce dernier est celui dont je fais partie, mais le colonel m’a permis de rester ici aussi longtemps qu’il y serait lui-même.
Je profite du repos pour prendre le lait d’ânesse coupé par de la tisane de lierre terrestre : ces remèdes, joints au repos, semblent m’être favorables, mais je suis encore bien mal, cependant un peu moins qu’à mon arrivée où il m’était impossible d’articuler 10 paroles sans tousser pendant 5 minutes au moins. #
J’ai écrit à mon frère à Madrid. S’il reçoit mes lettres à temps, il arrivera ici avant peu. Sa femme et ses enfants jouissent d’une bonne santé, ils me chargent de vous dire, (et) à votre famille, mille choses honnêtes. Pepa est bien reconnaissante des soins que vous avez pour Chaumeil l’ainé, mais il n’est pas possible d’imaginer les attentions délicates qu’elle a pour moi. Elle a la bonté de ne se rapporter à personne pour ce qui me regarde : c’est elle-même qui fait tous mes remèdes et qui me les donne à prendre. Je ne pourrai jamais lui témoigner toute la reconnaissance qu’elle mérite. #
Tous les français domiciliés dans ce pays, ainsi que les prisonniers de guerre, sont enfermés dans des pontons au milieu de la baie, sous la garde des anglais. #
Ce sont les derniers mots que nous ayons de Léon. Qu’est-il devenu par la suite ? Est-il mort pendant les campagnes napoléoniennes ? L’enquête continue… #
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